Certains effets collatéraux de la pandémie sont plus bénéfiques qu'on ne pourrait s'y attendre. D'un voyage au Costa Rica, remis à plus tard en raison de vols modifiés et annulés, nous sommes passés par le projet d'un séjour en Pologne, lui-même résilié du fait des restrictions d'hébergement touristique en vigueur en Allemagne, pour finir par l'option d'une brève escapade à Strasbourg. Un troisième choix, certes, mais l'occasion idéale d'explorer en toute quiétude les trésors architecturaux et culinaires de "la Belle Alsacienne", toute enluminée en cette période des fêtes de fin d'année.
Pour notre point de chute, nous avons déposé nos bagages au tout récent hôtel Léonor, un établissement soigné, chic et sobre, calme et parfaitement situé à deux pas de la place Broglie, une esplanade allongée que bordent l'hôtel du Gouverneur et l'hôtel de ville. Le soir tombe presque, et l'arbre bleu de la place Gutenberg se reflète déjà sur la statue du célèbre imprimeur de la Bible. L'iconique cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, toute proche, pointe vers le ciel les 142 mètres de sa flèche médiévale de grès rose, tandis que les lumières orangées de la Maison Kammerzell, chef-d'œuvre de la renaissance rhénane, font miroiter ses enfilades de vitres en culs-de-bouteille.
Nos pas nous mènent vers l'ouest, en direction de la romantique Petite France, de ses maisons à pans de bois et de ses canaux. Le barrage Vauban et ses arches de grès se reflètent en mauve et or dans l'Ill qui coule paisiblement à ses pieds.
L'heure du repas a sonné. Pour cette première soirée, nous avons réservé notre table à La Vieille Enseigne, une winstub dans la plus pure tradition strasbourgeoise. Confortablement installés dans une salle aux lambris clairs, nous nous régalons de presskopf, de dos de sandre rôti et de jambonneau, impeccablement préparés.
Notre première visite de la journée est pour l'intérieur de la cathédrale de Strasbourg. Les couleurs des vitraux rivalisent avec celles du grand orgue polychrome en nid d'hirondelle, dont les plus anciennes parties datent de 1385. Le célèbre pilier des Anges, du début du 13e siècle, est une représentation unique au monde du Jugement dernier. À côté, la non moins fameuse horloge astronomique attire l'attention tous les quarts d'heure par le jeu de ses automates.
Nous reprenons l'itinéraire de la veille, et passons de l'écluse de la Petite France à la place Benjamin-Zix, puis de la rue du Bain-aux-Plantes aux Ponts-Couverts et ses tours-prisons, le système défensif du sud de la ville au 13e siècle.
Nous descendons au bord de l'Ill et nous promenons le long des quais, en longeant les façades colorées d'anciennes maisons de pêcheurs.
Nous terminons cette journée d'exploration par une visite du MAMCS, soit le musée d'art moderne et contemporain. Les œuvres de Monet, Picasso et Kandinsky côtoient celles de Hans-Jean Arp et Gustave Doré, les enfants du pays. Une intéressante exposition sur La Marseillaise permet notamment de découvrir les partitions d'anciennes versions de l'hymne national français, assez différentes de ce que nous connaissons.
La Maison Kammerzell est sans conteste la plus célèbre maison de Strasbourg, mais c'est aussi un restaurant connu pour sa magnifique choucroute aux trois poissons, une recette mise au point en 1970 par Guy-Pierre Baumann, ancien propriétaire des lieux. Un plat emblématique à la hauteur de sa réputation.
Le lendemain matin, un Uber nous dépose à l'entrée du parc de l'Orangerie, au nord-est de la ville. Selon certaines sources, ce parc de 26 hectares aurait été dessiné par Le Nôtre en 1681. En son centre, construit en 1804, le pavillon Joséphine abrita en son temps 140 orangers, dont trois subsistent encore aujourd'hui, conservés dans les serres du parc. Nous nous promenons dans les allées larges et quelque peu détrempées par la pluie, admirant au passage quelques statues, le lac et les nombreux nids de cigognes haut perchés.
Juste en face du parc, de l'autre côté de l'avenue de l'Europe, nous découvrons les différents bâtiments des institutions européennes. Le Palais de l'Europe, siège du Conseil de l'Europe, est fièrement gardé par la haie d'honneur des drapeaux des États membres. À l'arrière, de l'autre côté du bassin de l'Ill, l'immense bâtiment Louise-Weiss accueille depuis 1999 les sessions plénières du Parlement européen au sein de sa gigantesque ellipse de verre. Les réunions de la Cour européenne des droits de l'Homme se tiennent en face, au palais des Droits de l'Homme, une construction dont la forme évoque symboliquement une balance de justice.
Notre dernière étape est pour le musée Tomi-Ungerer, qui rassemble sur trois étages de nombreux dessins du célèbre caricaturiste, complétés par les œuvres d'autres artistes internationaux, comme Roland Topor ou Max Fabre.
Pour notre dernier repas à Strasbourg, nous avons opté pour l'impressionnante brasserie contemporaine Les Haras, remarquable tant par l'architecture monumentale de l'escalier central et de la charpente que par la qualité des plats proposés, notamment une poitrine de cochon bio cuite 48 heures, fondante à souhait.
En résumé, notre escapade strasbourgeoise aura été l'occasion d'explorer avec bonheur une ville dont les prestigieux points forts ne gâchent en rien le charme et la douceur de vivre qui s'en dégagent. Trois jours sur place permettent de découvrir à pied l'essentiel des points à visiter. On y mange extrêmement bien, et l'ambiance générale détendue ajoute encore au plaisir d'y séjourner.
Faut-il aller à Strasbourg? Sans hésiter, oui. Le charme opère à coup sûr.