Chère lectrice, cher lecteur, bonjour !
Après une superbe visite dans l'établissement historique il y a deux ans, nous découvrons cette fois-ci le nouvel écrin de cet établissement triplement étoilé depuis 1968 (50 ans !). Le restaurant Troisgros a en effet quitté les abords de la gare de Roanne pour s'installer à Ouches, en pleine campagne, dans un domaine superbement rénové. Le bâti d'origine décline un corps de ferme, sa grange et ses étables ainsi que la grande maison de famille. Dès l'entrée et chemin faisant vers la salle du restaurant, on découvre une multitude d'ouvertures percées à hauteur des yeux et donnant sur les caves aménagées dans les anciennes étables. Pour arriver à l'espace central, on emprunte un long couloir éclairé avec des lampes à huile, avant de découvrir "le bois sans feuilles", une pièce vitrée noyée dans le paysage extérieur et plantée d'une forêt de piliers en métal organisée autour d'un chêne central.
On nous installe à notre table et nous avons tout loisir d'admirer la décoration extrêmement originale et réussie, comme les caissons grillagés garnis de tissu cuivré qui tapissent le plafond, ou encore la multitude d'éléments de verre et de métal délicatement suspendus. L'ensemble donne une impression irréelle et enchanteresse. Pierre Troisgros, qui passe un bon moment à discuter avec nous, nous explique que le décor devient encore plus théâtral le soir avec les jeux de lumière. Il faudra donc revenir...
Nous optons pour le menu avec vins assortis, que nous ouvrons par une petite coupe de champagne Pierre Peters. Elle est accompagnée par le premier opus, "Entre nos mains", deux dégustations dont une tarte avec fond de pâte sablée et tomate, ananas et gelée d'ananas au piment, ainsi qu'une tartelette au maïs et crème d'oseille fumée. Dans ces deux préparations, déjà la typique petite pointe d'acidité ainsi qu'une belle fraîcheur pour l'ananas.
Pierre Troisgros est un poète qui se plaît à donner des noms évocateurs à ses plats. Ainsi "Rouge aux lèvres", une assiette déclinant les tons de rouge : mélange de légumes rouges, fruits rouges, vinaigrette au vinaigre de prune et petit morceau de filet de pigeonneau. Il est accompagné par un superbe Sancerre 2017 'Nuance' Domaine Vincent Pinard.
L'assiette suivante propose "Moules et girolles, un voile de lait", une intrigante réalisation au lait caillé toute en légèreté recouvrant des moules et girolles avec oxalys et fenouil, qui contrebalancent à merveille la douceur du voile. Dans notre verre, un Côtes Catalanes 2017 "Iglesia Vella", domaine Le Roc des Anges, tout en finesse lui aussi.
"Coucou, je suis caché sous le chou". Sous ce titre amusant, une feuille de chou toastée qui recouvre des escargots, avec du navet et du tamarin pour l'acidité, ainsi que des feuilles de coriandre. Et pour l'accompagner, un Fixin 2014 Domaine Philippe Charlopin.
"Jeu de rouget sans frontière": un filet de rouget cuit à la vapeur, avec un bouillon de tomate dans lequel on a fait infuser du curry, et à côté des pétales de tomates cerise, oignon et kumquat. Des saveurs effectivement cosmopolites pour cette préparation chaleureuse. Elle se voit accompagnée d'un Savennières 2010 "L'Enclos" Domaine Eric Morgat, un Chenin tout en rondeur avec un nez de fruits exotiques qui le rehausse superbement.
L'assiette suivante est intitulée "Fleur d'écrevisse, framboise et poivron", une superbe composition à base d'écrevisse pochée, fine tranche de pancetta sur le dessus, poivron vert confit, sur une purée de framboises fraîches relevée d'un peu de piment et d'huile d'olive. Nous recevons notre premier vin rouge, un Monthélie 2013 Château de Monthélie, avec un nez de fruits rouges et une belle vivacité.
Nous recevons maintenant une "Selle d'agneau Primavera", une selle d'agneau de l'Aveyron juste grillée au barbecue, avec un jus de champignons réduit, feuilles de côtes de blettes, huile d'olive, côtes de blettes et shiitake cultivés non loin de là. Elle arrive avec une Côte Rôtie 2016 "Fructus Voluptas" Domaine Jamet, avec un nez épicé et une bouche aux tanins soyeux.
"Bons fromages, beau voyage"... voici qu'arrive un gigantesque chariot de fromages. Nous regrettons de ne pas avoir davantage faim, mais nous composons néanmoins une succulente assiette, toujours accompagnée par le vin précédent.
On nous sert maintenant un Coteaux du Layon Saint-Lambert 2015 Domaine Ogereau, qui accompagnera les deux desserts. Le premier s'intitule "Orientalisme" : du melon cru avec pistache concassée et quatre gelées différentes : amande, fleur d'oranger, menthe et safran. Tout en fraîcheur !
Le deuxième dessert s'intitule "Papillon", une superposition qui donne l'impression d'envol lorsque le serveur la brise en son centre. Poétique, à l'image de la métamorphose de l'établissement.
Pour le café, nous prenons place dans un petit salon, où nous recevons également quelques mignardises au chocolat, miel et framboise, coco et citron.
En conclusion, nous avons vécu un moment d'exception. Le nouvel écrin de ce temple mythique de la gastronomie française magnifie encore les mets en se faisant l'écho du raffinement, de l'épure et de l'inventivité des créations. Comme lors de notre précédent passage, nous avons particulièrement apprécié l'usage hautement maîtrisé des saveurs acides. Côté vins, le travail du sommelier était irréprochable.
Nous avons pu visiter l'impressionnante cuisine après le repas, mais restons avant tout sous le charme de la mise en scène poétique, inventive et subtile de l'établissement. Après le repas, il est du reste possible de visiter le jardin ainsi que de canoter sur l'étang du domaine situé un peu plus loin.
Côté prix, mieux vaut faire quelques économies avant de passer ou bien avoir la chance de se faire inviter, comme ce fut notre cas, car le menu à 450 euros vins compris n'est pas à la portée de toutes les bourses. Pour ceux qui désirent néanmoins découvrir l'établissement, il existe un "Menu première", proposé à 160 euros assortiment vins compris.
Faut-il aller chez Troisgros ? Une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie...