Mercredi 27 décembre
Le temps d'avaler notre bon petit déjeuner indien, et nous montons à bord d’une Jeep d'âge vénérable en vue d'observer la faune aviaire des environs, particulièrement riche. Grâce à l'œil exercé de notre guide, nous admirons une multitude d'oiseaux de toutes tailles, silhouettes et couleurs, mais notre périple est ponctué de nombreux arrêts inopinés du moteur en fin de vie de notre véhicule. Notre chauffeur, lassé de farfouiller à chaque fois sous le capot, finit par appeler à la rescousse. Quelques minutes plus tard, le prince Shri Armaan Malik, fils du propriétaire, arrive à bord d'une jeep en meilleur état, et nous poursuivons avec lui notre exploration ornithologique.
Quelques oiseaux plus tard, Armaan propose de nous emmener à la rencontre d'une communauté tribale qui lui est particulièrement familière : un couple issu de cette communauté a en effet fait office de nurse pendant sa prime enfance. Il nous explique qu'à l'origine, cette communauté a été créée par une famille possédant 4 enfants, lesquels se sont mariés avec des personnes venues d’autres villages, et ainsi de suite jusqu’à constituer la communauté actuelle, soit environ 5000 personnes qui vivent modestement dans de rudimentaires petites maisons de pierre, très bien organisées et proprettes, agrémentées de tissages et de peintures décoratives. Nous parcourons les quelques ruelles de ce petit village nommé Odu, où les façades sont souvent peintes en bleu, et passons par l'inévitable temple local gardé par une chèvre surdimensionnée, ainsi que la place principale où se tient le plus minimaliste des marchés : un unique marchand propose fruits et légumes sous un éventaire bâché. Armaan nous emmène chez l'habitant. On nous installe sur un charpai, le lit traditionnel composé d’un cadre de bois et de cordages, tandis qu'une des femmes de la maison nous prépare un délicieux masala chai qu'on nous sert dans une soucoupe, et que nous dégustons sous le regard de toute la famille rassemblée devant nous. Nous passons un moment à échanger quelques phrases avec ces braves gens, heureux de partager ce petit moment de simple et authentique fraternité.
Nous reprenons la route, et en apprenons plus sur notre jeune chauffeur princier. Armaan est champion d’équitation et élève des chevaux de race Marwari dans sa propre ferme. Il poursuit cependant ses études en sciences économiques tout en aidant son père pour les visites ornithologiques et animalières. Un palmarès impressionnant pour un jeune homme de 20 ans, qui assume avec aisance énormément de responsabilités malgré son jeune âge.
Nous revenons au lodge, dégustons le thali en self-service de notre lunch, et prenons un petit moment de repos avant notre excursion de l’après-midi.
Armaan nous emmène en balade dans le petit Rann de Kutch. Désert salin en saison sèche, île séparée du reste de l'Inde pendant la mousson, le Kutch, composé du grand Rann et du petit Rann, est un immense marais salé saisonnier qui s'étend sur plus de 23 000 km2. Le petit Rann de Kutch abrite la réserve indienne des derniers ânes sauvages d’Asie (Indian Wild Ass Sanctuary). Environ 3000 individus peuplent les quelque 5000 km2 de la réserve. Ces ânes, aussi appelés onagres de Khur, ressemblent à des chevaux sauvages, et nous avons la chance de pouvoir approcher un groupe de femelles - les mâles vivent en solitaire et sont d'autant plus difficiles à observer. La réserve est aussi le territoire de nombreux oiseaux migrateurs, dont les flamants roses, les pélicans frisés et les spatules.
Nous reprenons la jeep et partons à la rencontre des Agariya, une communauté koli qui vit du commerce du sel depuis des siècles. Ils étaient les propriétaires fonciers du petit Rann de Kutch jusqu'en 1978, lorsque le gouvernement du Gujarat les a dépossédés de leurs terres pour les inclure dans le Wild Ass Sanctuary. Les Agariya passent 8 mois par an dans cet environnement hostile, la peau rongée par le sel, vivant dans des conditions des plus sommaires au bord de la parcelle de marais salant qu'ils exploitent. Les enfants travaillent dès l’âge de 4 ans (plus tôt, ils meurent) et ne sont pas scolarisés. Ces paludiers mènent une vie de misère pour un labeur exténuant, sachant que 100 kilos de sel, soit la récolte de 4 jours de travail, sont vendus l’équivalent de 50 cents. Même s'il n'existe pas de chiffres précis à ce sujet, il est avéré que l'espérance de vie des Agariya est inférieure à la moyenne, et que les chances sont quasi nulles d'offrir à leurs descendants une quelconque opportunité de sortir de cette condition.
Nous rentrons au Desert Coursers tout en méditant sur ces tristes existences et les injustices qui résultent du hasard de la vie et des lieux de naissance.
Dans l'attente du repas du soir, nous devisons avec Dhanraj, le père d'Armaan. Doté d'une forte personnalité, cet homme à l'esprit ouvert est d'une remarquable érudition, fruit notamment de son éducation en Angleterre et de ses nombreux voyages. Il partage avec éloquence sa vision de l'existence, et évoque les conséquences néfastes du gouvernement Modi et de ses actions discriminatoires.